Politique

Bemba Gombo : du séisme politique à la nouvelle donne

L’ancien Vice-président de la République est passé, au bout de quelques jours, du statut de martyr d’une justice internationale vilipendée par l’essentiel de la classe politique africaine à celui de héros national. A quelques mois de la tenue des élections, son probable retour sur la scène politique va bouleverser la donne et redistribuer les cartes. Voilà ce qu’on appelle un retournement de situation.

A l’issue d’une audience de quelques minutes à la Cour Pénale Internationale (CPI), Jean-Pierre Bemba Gombo a vu, vendredi 8 juin dernier, sa culpabilité annulée en appel. Condamné en première instance à 18 ans de prison pour « crime de guerre et crime contre l’humanité » pour des faits perpétrés par ses hommes en Centrafrique en 2002, l’ancien Vice-président devrait retrouver la liberté très vite, dès la semaine prochaine, disent certains analystes.

Mais pour l’instant, le président national du Mouvement pour la Libération du Congo (MLC) reste en détention. Il avait été condamné à une année de prison pour une autre affaire de subornation de témoins, une affaire subsidiaire à l’affaire principale.

Les juges de la CPI devront statuer sur cette affaire demain mardi. Même si Bemba doit écoper d’une peine maximale dans cette affaire, cela ne devrait pas excéder 7 années d’emprisonnement. Ce qui implique que quoi qu’il arrive, le Sénateur Congolais retrouvera à coup sûr sa liberté.

Selon la majorité des juges de la chambre d’appel (trois sur cinq), les premiers juges ont commis des « erreurs » qui ont « sérieusement entaché » leurs conclusions. Des charges qui ont été formulées « de façon trop large », la « non prise en compte des mesures prises par Jean-Pierre Bemba », le fait qu’il n’y avait « aucune indication du nombre des crimes », listent notamment les magistrats.

Au-delà de la polémique qui entoure à la fois son emprisonnement et son acquittement, c’est son avenir politique qui focalise désormais toute les attentions. L’ancien Vice-président de la RDC, arrivé deuxième aux élections de 2006 après un premier tour où il y avait plus de 30 candidats à la présidentielle, est sans conteste un poids lourd du landerneau politique congolais.

Durant les dix années de sa détention, le chef du MLC recevait souvent la visite des leaders politiques de son pays. Avec l’approche de la date de l’organisation des élections, le bal des hommes politiques à la Haye s’est intensifié.

 

Le vrai jeu politique va commencer

A l’annonce de l’abandon de ses charges, les acteurs politiques ont multiplié les déclarations. Un peu comme si chacun voulait prendre à témoin le peuple de son soutien indéfectible au « chairman ». De Vital Kamerhe à Félix Tshisekedi, en passant par Moïse Katumbi ou Adolphe Muzito, chacun de ses leaders politiques y est allé de son commentaire. Chacun se dit « heureux ».

Kamerhe annonce même que désormais « le vrai jeu politique va commencer ». Le président de l’Union pour la Nation Congolaise (UNC) ajoute qu’il ne faut « jamais enterrer quelqu’un avant la décision de Dieu ». Même les anciens du MLC qui ont rallié d’autres camps politiques saluent l’acquittement du « grand-frère ».

A croire que tous veulent faire allégeance à celui qui, s’il consent à postuler aux élections à venir, sera certainement le candidat le plus expérimenté (car au regard de la loi fondamentale, Joseph Kabila ne sera pas de la course). Mais au-delà du discours officiel, le sort de Bemba Gombo ne fait pas que des heureux, même au sein de l’opposition.

Le gouvernement quant à lui s’oblige à un silence. Motus donc. Semble-t-il, l’exécutif s’est donné pour discipline de ne jamais commenter les décisions de la justice, qu’elle soit nationale ou internationale. Manifestement gênée, la Majorité présidentielle (MP) se contente de dire que l’acquittement de Jean-Pierre Bemba est « une bonne chose ». Mais certains boutefeux de la MP rappellent déjà que le président du MLC « avait été candidat en 2006 et il avait été battu ».

Avant d’ajouter que des scènes de liesse observée déjà depuis l’annonce de l’abandon des charges qui pesaient sur l’ancien Vice-président de la RDC et tout ce qui pourra s’observer si jamais Jean-Pierre Bemba fait son retour à Kinshasa, « relèvent de l’émotionnelle ».

On le voit bien, le microcosme politique congolais n’a plus la même configuration. La prochaine arrivée du numéro 1 du MLC va redistribuer des cartes. « S’il ne sera pas le roi, il sera néanmoins le faiseur des rois », commente un analyste.

A presque la veille de l’organisation du congrès du MLC pour désigner celui qui sera leur candidat à la présidentielle, il ne fait pas de doute que c’est Bemba qui sera investi candidat du parti. « C’est notre candidat naturel », a tenu à préciser le sénateur Jacques Djoli.

J-P Bemba, c’est 70% des suffrages exprimés à Kinshasa en 2006. Une partie de l’Ouest de la RDC lui est très favorable. Les déçus de la classe politique dans son ensemble pourraient aussi basculer vers le camp Bemba. Comme le relève Adolphe Muzito, ceci peut relever de la spéculation. Mais force est de reconnaitre que depuis plusieurs années, le parti de Jean-Pierre Bemba a gardé une certaine cohérence, n’ayant trempé ni dans les négociations de la cité de l’Union Africaine, ni dans celles de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO). Le MLC a défendu une ligne dure. Il n’a pas cédé aux sirènes de participer aux différents gouvernements.

Les multiples défections qu’il a connues n’ont pas affaibli les prises de positions de ce parti né dans les remous des années troubles. Le « chairman » n’est pas pour autant dans un terrain où tout va marcher comme sur des roulettes. Car, bien qu’aujourd’hui, l’ancien Vice-président soit bien parti pour redevenir populaire, il lui est collé une image de « séparatiste » Est-Ouest. Sa faiblesse serait de convaincre le Katanga mais surtout aussi l’Est de la République qui représente 45% de l’électorat. D’où l’impérieux besoin de nouer des alliances à une élection à tour unique.

                                                                                                  Patrick Ilunga

 

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