Economie

Contrat Chinois /L’ITIE récolte les dernières données pour en avoir le cœur net : Interview exclusive de Jean-Jacques Kayembe, le coordonnateur national

A l’heure où le débat sur la question des contrats miniers, antérieurement signés, est ouvertement évoqué et que celle de la gestion des revenus des mines suscite des commentaires tous azimuts dans les milieux des spécialistes, mais aussi dans l’opinion publique, Géopolis Hebdo est allé à la recherche de la bonne information pour démêler l’écheveau du projet Sicomines et la question de la répartition des revenus miniers, parfois difficiles à saisir. Une quête de l’information à laquelle le coordonnateur national de l’initiative pour la transparence des industries extractives a pu assouvir avec bonheur. De retour du grand Katanga où il a traité de ces questions avec leurs enjeux, Jean-Jacques Kayembe, a promis un « débat public » sur l’épineuse problématique de l’évaluation du projet Sino congolaise des mines, une fois que les résultats de l’évaluation seront livrés.

Interview

GH : Vous avez fait un séjour dans le Haut-Katanga et dans le Lualaba. Pouvez-vous nous faire la restitution de votre mission dans ces deux provinces ?

Jean-Jacques Kayembe : Je suis allé au Haut-Katanga et dans le Lualaba sur deux invitations : la première, j’ai été invité par la faculté polytechnique de l’Université de Lubumbashi pour participer aux journées scientifiques. Et la deuxième invitation, j’ai été invité pour aller participer dans le Lualaba pour participer aux activités des plateformes IDAK et IDAKI qui devaient parler de revenus infranationaux, donc la redevance minière. C’est à cette occasion que je me suis retrouvé et dans le Haut-Katanga et dans le Lualaba.

GH : Dans le Haut-Katanga, vous avez été l’un des orateurs aux travaux des journées scientifiques. Vous avez développé un thème, celui de la transparence dans le secteur minier. Vous avez parlé des défis et des perspectives dans ce secteur. Pouvez-vous nous en dire plus ?

JJ K : Merci beaucoup. Vous savez que nos universités regorgent beaucoup des scientifiques de haut niveau. Nous voulions que le débat de l’ITIE, qui concerne le secteur extractif soit aussi traité à ce niveau-là. C’est comme ça que j’ai fait inscrire ce thème, à savoir, « transparence dans le secteur minier, défis et perspectives ». Le contenu, c’est que, il fallait que je relève quels sont les défis liés à la transparence dans le secteur extractif et quels sont les enjeux actuels. Si vous regardez la chaine des valeurs dans le secteur extractif, nous avons parlé des défis autour de la publication des contrats, autour des octroies des titres miniers, des revenus de l’Etat et de l’impact de l’exploitation sur nos communautés. Donc, de la responsabilité sociétale des entreprises. Généralement, nous parlons du local content. Est-ce que nos communautés, nos universités profitent du boom minier qui se passe dans le Haut-Katanga ou dans le Congo en général ? Ce sont ces questions que nous avons partagé avec les universitaires dans le cadre des journées scientifiques à la faculté polytechnique.

GH : Vous qui êtes expert et coordonnateur national de l’ITIE, quel regard portez-vous sur la répartition des redevances minières, parce que selon certains experts, avec la loi minière actuelle, ça va de mieux en mieux…est-ce que vous confirmez ?

JJ K : La loi est très claire à ce propos. La répartition des quotités est donnée de manière très claire. Nous avons 50% pour le gouvernement central, 25% pour les provinces, 15% pour les ETD (Entités Territoriales Décentralisées) et 10% pour le Fonds minier. C’est autour de cette question que nous avons eu, en long et en large pendant trois jours à Kolwezi, une activité avec toutes les parties prenantes. Je pense que quand je parlerai du Lualaba, j’entrerai dans tous les détails pour que vous compreniez les enjeux de la répartition de la redevance minière ou le bénéfice que nous a apporté le code minier révisé sur l’affectation de ces revenus.

GH : Il y a cette question du Fonds minier pour les générations futures. C’est vrai que cela est inscrit dans la loi, mais est-ce que dans la pratique, l’Etat congolais met à côté ces 10% prévus dans les textes ?

JJ K : Comme je l’ai dit, la répartition est très claire. Je remonte d’abord sur les 15% que les ETD touchent, les 25% que la province reçoit de la redevance minière et je parlerai des 10%. Dans les activités que nous avons eues à Lubumbashi et dans le Lualaba, nous sommes revenus sur cette répartition-là. Lorsque nous analysons les éléments qu’il y a dans le rapport ITIE, nous trouvons qu’il y a disproportion dans la collecte de ces quotités-là. En regardant au gouvernement central, nous voyons que la collecte est presque bien faite parce que, entre ce qui est attendu et ce qui est réalisé, l’écart n’est pas très énorme. Mais lorsque nous descendons sur ce que devait recevoir la province ou les provinces et les ETD, on commence à remarquer que les écarts deviennent de plus en plus grands. Donc la proportion de 50%, 25, 15 et 10, n’est pas respectée. C’est comme ça que nous avons remarqué, pour les 15% sur toute la république qu’il y avait un écart de près de 100 millions de dollars. C’est-à-dire que les ETD, toutes, mises ensemble, accusent une différence entre ce qui est attendu et ce qui est réalisé de près de 100 000 dollars. Même sur la quotité du fonds minier de 10%, nous avons remarqué aussi que nous sommes dans la même proportion. L’écart est trop grand. En insistant sur le fonds minier, nous avons remarqué, et le rapport le dit de manière claire, qu’il y a une trentaine d’entreprises qui n’ont pas effectué le paiement du fonds minier. Et elles nous ont donné leurs raisons. Elles disent que aussi longtemps qu’il n’y a pas en face un établissement ou bien un service public pour encadrer la récolte de ce fonds, elle se réserve de faire le paiement parce qu’elles risquent de mal payer. C’est vraiment ça la première cause qui fait que ces entreprises n’effectuent pas de paiement du fonds minier. C’est parce qu’il y a un retard du côté du gouvernement de mettre en place cet établissement qui doit encadrer.
Si vous regardez bien pour les 50%, c’est la DGRAD qui encadre ; il y a moins de problèmes et les provinces encadrent, il y a aussi moins de problèmes. Mais pour le fonds minier et les 15 % des ETD, c’est là qu’il y a de gros écarts, il y de gros problèmes. Pour les entités territoriales décentralisées pourquoi il y a de gros écarts ? Il faut comprendre que les ETD n’ont pas de régie financière pour encadrer aussi leurs recettes. C’est ce qui fait qu’il n’y a pas vraiment des services bien qualifiés qui doivent suivre pour faire le recouvrement de la quotité de 10 %, comme on le voit avec la DGRAD. C’est pour ça que de ce côté-là aussi il y a un sérieux problème. Alors, dans le cadre des activités que nous avons eues dans le Haut-Katanga et dans le Lualaba, nous nous sommes dits, il faut accompagner les ETD à mettre en place des régies financières ou des services qui ont les fonctions des régies financières pour encadrer correctement la recette liée à la redevance minière. C’est ça le plus grand problème.

GH : Mais il y a quelques années on avait vu qu’il y avait, dans certaines ETD, déjà des retombées de la redevance minière. Ce qui se faisait il y a 2 ne se fait plus ?

JJ K : Non, les retombées, il y a. Je veux dire que les ETD ont collecté près de 88 million de dollars. Ce qui n’existait pas avant lors de la rétrocession mais à partir de juin 2018 les ETD commencent à recevoir beaucoup d’argent. Et le comité exécutif de l’ITIE a dit que, en dehors du rapport assoupli qu’on a publié, nous devons faire une étude thématique. C’est-à-dire quoi ? C’est une étude qui devait entrer en profondeur sur les recettes et les affectations de la redevance minière. C’est comme ça que lorsque j’étais à Kolwezi, je suis allé présenter les civilités son excellence madame le gouverneur à l’intérim pour son implication dans l’accompagnement des consultants qui étaient dans le Lualaba pour faire ces études avec les ETD. Il y a pour ce cas de la redevance minière et aussi, elle nous a prêté main-forte quand nous sommes allés faire notre étude d’évaluation sur le projet Sicomines. Donc c’est dans ce cadre-là. Et nous disons, nous continuons à soutenir que les ETD doivent être accompagnées et de manière urgente pour qu’elles soient capables d’encadrer correctement les recettes liées à la redevance minière, mais aussi d’autres recettes. On parlera de 0,3 % du chiffre d’affaires et aussi de la négociation des cahiers de charge. Ce sont ces trois leviers qui peuvent aider les ETD à se développer de manière durable.
GH : Venons-en maintenant à cette question de Sicomines. Selon nos informations, vous avez été à Kolwezi pour faire l’évaluation de Sicomines. Qu’est-ce qu’on peut retenir de cette évaluation ?

JJ K : Vous vous souviendrez que le comité exécutif de l’ITIE a décidé de mener une étude thématique, « évaluation du projet Sicomines ». C’est-à-dire, depuis que la RDC a signé ce contrat, il a été mis en œuvre, c’est un projet qui a deux volets : le volet infrastructure et le volet minier. Depuis qu’on a commencé à mettre en œuvre, on n’avait jamais évalué pour savoir où est-ce que nous en sommes. Vous vous souviendrez qu’il y avait un débat. Nous sommes passés de 9 milliards à 6.5 milliards et une bonne partie, presque 3.5 milliards de pour le projet minier et 3 milliards pour le projet des infrastructures. Nous sommes à quel niveau ? C’est dans ce cadre-là qui nous avons envoyé une forte équipe dans le Lualaba pour aller récolter les dernières données afin de finaliser l’étude thématique. Alors, à la demande de son excellence le ministre d’État, ministre du Plan, il y a nos experts qui se sont rendus dans le Lualaba, qui ont eu un accompagnement du gouvernorat qui a facilité les échanges entre l’entreprise Sicomines et les experts. C’est pour ça que, à mon tour, quand je suis passé là-bas, il était normal que je puisse aller présenter les civilités à Madame le gouverneur ai pour son implication et pour son accompagnement en vue de la réussite de cette mission-là. Donc d’ici la fin de ce mois, nous serons capables de vous dire où est-ce que nous en sommes avec le projet Sicomines, et sur le plan des infrastructures et sur le plan minier. Et nous allons faire des recommandations au gouvernement pour que nous puissions saisir cette occasion afin que les investissements soient orientés vers les projets de développement qui peuvent amener le pays à relancer son économie.

GH : Il y a juste quelques jours, la RDC a signé un programme avec le FMI, et selon le représentant du FMI en RDC, ce programme impliquait que le gouvernement s’assure de la transparence aussi dans le secteur extractif. Y-a-t-il un lien entre le programme FMI et votre mission dans le grand Katanga ?

JJ K : Mais c’est tout à fait logique ! C’est le gouvernement de la RDC qui s’est engagé dans le processus ITIE. C’est la volonté du gouvernement de mettre en œuvre ce processus de transparence qui est de bonne gouvernance afin que les mines profitent aux congolais. C’est le gouvernement qui s’est engagé avec le Fonds Monétaire International. Parmi les conditionnalités le Fonds Monétaire a voulu voir si le gouvernement est resté ferme dans son engagement d’améliorer la transparence. La mission que nous sommes allés effectuer, effectivement, c’est le gouvernement, parce que le gouvernement et parmi la tripartite qui siège au comité exécutif de l’ITIE. C’est la volonté du gouvernement de voir de la transparence dans le secteur des mines. C’est pour ça que nous sommes engagés, avec les partenaires qui nous accompagnent, à aller répondre à cette question et à mettre notre rapport d’ici de la fin de ce mois sur la table du comité exécutif pour un débat public, afin que tous nous puissions comprendre où est-ce que nous en sommes depuis 15 ans que les accords ont été signés. Donc c’est sous le leadership du gouvernement que nous sommes en train de faire cette étude-là.

Propos recueillis par Patrick Ilunga

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