Editorial

Editorial – NINI TOSALI TE ? : L’APOLOGIE DES DROITS INDIVIDUELS DANS UN CLIMAT DE DENI DU DEVOIR COLLECTIF

Ils ont agi en artistes, en captant l’état d’âme d’une génération qui se dit coincée par une réalité non plaisante. Avec leur style, leurs mots et surtout leur accent particulier, ils ont lancé à la conscience collective des interrogations qui exigent des réponses approfondies et une lecture systémique des faits énoncés par ces jeunes.
Au regard du succès médiatique que ce tube a remporté et des félicitations qui pleuvent de partout, on peut déjà voir émerger des symptômes d’une pathologie sociale, à savoir : une tendance générale à l’auto dérision. Parler du mal de soi-même et décrire des situations déplaisantes paraît comme un acte de courage même si ce fait détruit la confiance que l’on a en soi-même. C’est une tradition héritée des plusieurs siècles de brimade et des traitements inhumains de la part de ceux qui se sont autoproclamés rois du Congo. Parler du mal fut un temps, un acte de dénonciation et de courage face aux esclavagistes, aux colonisateurs, aux dictateurs. C’est dans cette lignée que l’on peut mettre le discours de Patrice-Emery Lumumba, la lettre des 52 pages des Commissaires du Peuple, les propos de Bavela au Cinquantenaire devant le maréchal Mobutu, les chansons de Tabu Ley Rochereau, de Alesh, certains morceaux de Koffi Olomide et d’autres propos qui furent le fondement des chansons des autres artistes qui se sont toujours posés en censeurs d’une vie de misère face à une classe politique jugée irresponsable.

On retrouve cette tradition de parler de soi-même comme victime des plus forts, des plus riches, des plus méchants, dans l’abondante littérature congolaise où des livres comme  » Mobutu l’incarnation du mal zaïrois  » furent publiés. De manière consciente ou inconsciente, le congolais pense que son bonheur doit venir de son élite, celle qui possède le pouvoir. Le pouvoir politique a ainsi le devoir de produire la magie du confort. Celui-ci d’ailleurs use de ces propos démagogiques pour asseoir cette idée saugrenue que le bonheur est un don que l’on octroie par le fait du prince.

 » Nini tosali te (Traduction : Qu’est-ce que nous n’avons pas fait ?) est un reflet exact de ce que nous sommes spirituellement, un peuple comme celui de la Bible qui croyait qu’il faut poser un certain nombre d’actes pour mériter de la vie éternelle. La conversation entre Jésus-Christ et le jeune homme riche peut aussi se résumer en cela :  » Nini nasali te ?  »

Convaincu d’être un bon croyant qui accompli ses devoirs, le jeune s’est approché de Jésus-Christ et a demandé (Saintes Écritures, Matthieu 19 : 21) :  » Maitre que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle ?  »

Jésus répondit :  » Tu ne tueras point, tu ne commettras point d’adultère, tu ne déroberas point, tu ne diras point de faux témoignage, honore ton père et ta mère, et ; tu aimeras ton prochain comme toi-même. Le jeune homme lui dit :  » J’ai observé toutes ces choses. Que manque-t-il encore ?  » Jésus lui dit :  » Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel. Puis viens et suis-moi  ».

Après avoir entendu ces paroles, le jeune homme s’en alla tout triste, car il avait de grands biens. Voilà la similitude avec notre situation et la chanson fait bien de la rappeler. Comme quoi, pour être bien dans la vie, nous avons dit à nos enfants qu’il faut avoir un diplôme. Sans préciser que le diplôme en lui-même ne voulait rien dire s’il n’était le reflet d’un savoir véritable correspondant aux problèmes du milieu. Comme une drogue, les jeunes se sont investis dans une course aux diplômes et ce par tous les moyens. La corruption, les points sexuellement transmissibles, les mercenaires qui entrent dans les salles des examens pour agir au nom des  » clients  ». Des enseignants qui organisent des maquis et qui répondent aux questions de l’examen d’Etat en lieu et place des élèves. Des écoles qui s’arrangent avec des inspecteurs pour obtenir les 100 %.
A la fin, beaucoup des diplômes mais peu des connaisseurs. Il suffit qu’il y ait une compagnie qui lance un recrutement avec des critères rigoureux, personne ne réussit au test psychotechnique et à l’interview.

Quel que soit le domaine, des procédures ont été remplies en surface, s’écartant de ce qui dans le cas précis est attendu. Comme le jeune homme riche, il ne faut pas croire que le rituel du respect général des commandements suffit pour réaliser le bonheur de la vie éternelle. Pour chaque personne, il existe des conditions particulières à remplir pour mériter de l’ascension, car chacun a eu à gérer son libre arbitre pour se retrouver avec une ardoise des conditions spécifiques à son niveau.

Chaque homme a des poids à se délester avant de commencer son ascension, chaque société a ses tares quand il faut monter en puissance. Dans cette chanson, l’artiste-musicien a capté le son des revendications légitimées, mais ce son est celui d’une apologie des droits individuels, des cris de détresse d’une jeunesse congolaise qui est en mal d’identité, qui est porteuse des promesses qu’on lui a faites dans un contexte politique des marchés des dupes.

Faire l’apologie des droits individuels dans une société qui produit de la pauvreté à cause des déficits organisationnels, c’est mettre la charrue avant le bœuf. Le citoyen remplit-il son rôle pour que la société lui restitue une organisation qui lui permette de vivre confortablement ? L’élite est-elle celle qui permet une bonne gestion ou est-elle fondamentalement dans la production des illusions optiques en inventant des chimères au confluent des appétits gloutons ?

Il est inopérant de croire que le pays est en lui-même une rente où le fait d’en être ressortissant vous donne accès à un fleuve de conforts. Dans ce pays où le devoir collectif est à apprendre, où la mutualisation des efforts est un chantier à construire, il est difficile de trouver des forces de transformation conscientes et patientes sur la durée d’un mandat.

Aujourd’hui, il est temps de nous mirer de la bonne manière et de constater la laide société que nous avons écrite et qui est désormais le cauchemar de notre quotidien.  »
Nini tosali te ?  » est comme la réponse d’un malade face à un charlatan et qui lui revient après pour lui dire, j’ai tout consommé du breuvage que tu m’as prescrit et pourtant rien n’a changé. Que dois-je faire ? Double duperie, car l’élite vend des produits périmés et le peuple consomme sans vérification aucune des fausses stratégies.

Seul le travail transforme les sociétés et donne au peuple le développement socioéconomique nécessaire. Le temps est venu de construire des foyers de conviction et de foi dans les vertus du travail. Alors, nous dirons Nini tosali te ? Le travail est cette terre qui a reçu de la semence, elle doit inévitablement produire, car c’est cela qu’il faut faire. En mettant du mais dans une armoire, on ne peut espérer récolter des grappes.

Adam Mwena Meji

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