Economie

Interview exclusive – Gabriel Leost : « On a bon espoir que le processus de revue qui commence s’achève favorablement par une proposition au Conseil d’Administration du FMI d’ici à la fin de l’année. »

Depuis l’avènement du Président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo à la tête de la République Démocratique du Congo (RDC), le pays s’est remis sur la voie de la croissance économique et de la lutte contre la pauvreté. Pour ce faire, les autorités du pays ont mis en place un programme triennal qui a été présenté et validé au mois de juillet dernier par le Conseil d’Administration du Fonds Monétaire International (FMI) pour un financement de 1.5 milliards USD au titre de la Facilité Élargie de Crédit (FEC). Ce programme vise prioritairement l’augmentation des recettes domestiques et le renforcement du cadre de la politique monétaire ainsi que la bonne gouvernance et la lutte contre la pauvreté. Au cours d’une interview exclusive accordée récemment au trihebdomadaire Géopolis Hebdo, le Représentant-résident du FMI en RDC, M. Gabriel Leost, est revenu sur la motivation qui a poussé cette institution issues des Accords de Bretton Woods à valider le programme précité, les conditions fixées par le gouvernement de la République pour l’octroi de ce crédit dont le taux d’intérêt est de 0%, l’évaluation à mi-parcours et le rapport entre les Droits de Tirage Spéciaux (DTS) et la FEC que bénéficie la RDC. Ci-dessous, l’intégralité de l’interview.

Djodjo Mulamba (DM)/ Monsieur le Représentant-pays, qu’est-ce qui a motivé le Conseil d’Administration du FMI à valider le programme triennal de la RDC pour un financement de 1.5 milliards USD ?

Gabriel Leost (GL)/ Ce qui a motivé le FMI, c’est la demande du gouvernement congolais. Le FMI ne décide pas tout seul de faire un programme dans un pays. C’est toujours un programme du gouvernement soutenu par le FMI. Le précédent gouvernement (Ndlr : Le gouvernement Ilunkamba) avait fait la demande d’entrer en discussion pour un programme formel. Cette discussion qui avait été en cours depuis de nombreux mois, avait été retardée en quelque sorte par la pandémie de Covid-19. Du coup, on avait changé notre fusil d’épaule en faisant un décaissement d’urgence au titre de Facilité de Crédit Rapide (FCR). Mais on avait gardé à l’esprit l’idée de continuer vers ce programme triennal. Et à la suite de la formation et de la volonté réitéré par le nouveau gouvernement pour un conclure un programme, les discussions ont repris de façon plus intense au mois de mai dernier et ses sont conclues favorablement par un accord qui a été validé ensuite par le Conseil d’Administration le 15 juillet 2021. Ce qui a permis de lancer officiellement le programme.
DM/ Quelles ont été les conditions pour approuver ce nouveau programme avec la RDC ?

GL/ Pour approuver ce programme, nous nous sommes appuyé sur les conditions qui ont été fixées par le gouvernement lui-même. Comme vous le savez, le gouvernement a présenté un programme du gouvernement axé sur différentes grandes priorités. Si on peut résumer, la grande priorité est d’accroître fortement la croissance économique de façon soutenable à ce qu’elle permette une diminution de la pauvreté et un développement rapide du pays. Dans ce cadre, les principaux objectifs du programme du gouvernement soutenu par le FMI sont au nombre de trois. Le premier objectif est d’augmenter les recettes domestiques de façon à dégager des ressources budgétaires pour les dépenses les plus utiles (Les dépenses sociales et les dépenses d’investissements). Le deuxième objectif est lié à ce qu’on appelle la politique monétaire. C’est vraiment pour améliorer le fonctionnement de la politique monétaire, du crédit, des marchés financiers de façon à améliorer la solidité économique financière du pays. Et le troisième objectif est un axe transversal, car il touche presque tous les secteurs. C’est ce qu’on appelle la gouvernance et la lutte contre la corruption. Dans le programme, il y a un axe essentiel sur le secteur minier et tout ce qui touche les finances publiques en général, le fonctionnement et la mise en œuvre du budget. Donc, à partir du moment où le gouvernement a présenté ces grands axes qui pouvaient entrer dans un programme soutenu par le FMI, nous avons réfléchi de concert sur les conditionnalités qui pourrait être associées à ces trois grands objectifs. Et le gouvernement a fait des propositions en termes des réformes, suivi d’un calendrier des réformes à opérer. Et nous nous sommes mis d’accord. Voilà tout ce qui constituent les conditionnalités du programme.

DM/ D’après certains économistes, le FMI assujettit les économies intérieures des pays qui bénéficient de ces crédits et trace même la marche à suivre dans la gestion des finances publiques. Alors, est-ce que le FMI ne peut alléger ces conditions en laissant à ces pays la possibilité de décider eux-mêmes de l’utilisation des fonds alloués ?

GL/ Les conditions ne sont pas imposées par le FMI. Elles sont décidées de commun accord avec les autorités du gouvernement qui fixent elles-mêmes les priorités. Je prends un exemple : le premier grand axe sur la mobilisation des ressources domestiques pour avoir plus des dépenses sociales et d’investissements. Le gouvernement se fixe un certain nombre de réformes pour permettre cette augmentation des recettes d’une part, et d’autre part, pour des objectifs chiffrés. Vous savez vu le ministre national des Finances qui a signé des contrats de performance avec les régies financières (Ndlr : DGRAD, DGDA et DGI). Dans ce cadre, si nous pensons que ce sont des objectifs en ligne avec un programme ambitieux mais réaliste, nous reprenons ces objectifs dans le cadre des conditionnalités de ce programme : un objectif d’accroissement des recettes en fin juin et un autre objectif en fin décembre 2021 par exemple. Pour le reste, le FMI ne fait que reprendre et auditer d’une certaine manière les objectifs du gouvernement lui-même. Un des objectifs du gouvernement, c’est d’avoir plus des dépenses sociales et des dépenses d’investissements. Dans le cadre du programme, nous encourageons et suivons cet objectif. Là où il y a peut-être un malentendu, c’est lorsqu’on dit que le FMI assujettit les pays à faire telle ou telle chose. C’est que cet objectif du gouvernement peut être suivi. Prenons un cas extrême : lorsqu’il y a un surplus des recettes qui ont été utilisées pour des dépenses non prioritaires, on pourrait dire effectivement que c’était un mauvais choix. Au contraire, lorsqu’on se rend compte qu’il y a un excès des recettes qui a été utilisé pour des dépenses prioritaires, nous pourrions acquiescer.

DM/ Alors dans le cas d’une catastrophe comme celle survenue dans la province du Kasaï, est-ce que le FMI va tolérer qu’une partie des fonds alloués soit dépensée pour résoudre ce drame humanitaire ?

GL/ C’est un très bon point que vous soulignez. De toute façon, tous les programmes et en particulier les programmes avec les pays en fragilité sont basés sur une certaine flexibilité. Quand le cadre macroéconomique à moyen terme est défini par le gouvernement et discuté avec le FMI et quand on lance le programme, on peut, à un moment donné, si un aléa extérieur surgit, revoir les projections et revoir les conditionnalités chiffrée. On le sait d’autant plus qu’on a vu depuis un an et demi (Là, je parle bien au-delà de la RDC) avec la pandémie de covid-19 avec les impacts économiques, on doit toujours avoir de nouvelles surprises. Comme on peut avoir aussi de bonnes surprises. Par rapport aux hypothèses au moment du lancement, on a de nouvelles bonnes surprises en termes des prix de matières premières et le volume d’exportation de ces matières sur les marchés internationaux. On a aussi des bonnes surprises quant aux recettes domestiques par rapport à ce scénario de base.

DM/ Est-ce que les conditions d’octroi des crédits sont les mêmes au niveau des pays développés et ceux en voie de développement ?

GL/ Pour les pays en voie développement, il y a une chose essentielle qui explique que tous les programmes soutenus par le FMI s’appuient sur un plan global de réduction de la pauvreté. Dans le cadre de la RDC, c’est le Plan National Stratégie de Développement (PNSD) qui a été finalisé en 2019 et a servi de base pour le gouvernement actuel. Ce qui fait la différence est que, pour les programmes des pays en voie de développement, il y a vraiment un aspect développement et lutte contre la pauvreté. C’est donc un aspect qui concerne la croissance inclusive et soutenable qui permet une hausse du Produit Intérieur Brut par habitant (PIB). Donc, les conditionnalités sont aussi axées sur ce domaine-là. Pour donner un exemple frappant, dans le cadre du programme de la RDC et de beaucoup d’autres pays en Afrique, il y a une conditionnalité sur les dépenses sociales. Et là, il ne s’agit pas d’un plafond des dépenses. Au contraire, d’un seuil des dépenses. C’est-à-dire, on fixe de concert avec le gouvernement un niveau minimum des dépenses dans le social (Par exemple, la vaccination des enfants) et un minimum des dépenses à atteindre de façon trimestrielle. Par ailleurs, pour les pays développés, il y a généralement un programme avec le FMI en cas d’urgence. Ici, il est souvent question de résoudre un problème de balance de paiement. Et le FMI joue le rôle de pompiers et intervient généralement donc avec d’autres partenaires pour essayer de rétablir la situation. Là, on est donc dans un schéma différent. En RDC, le FMI n’intervient pas parce qu’il y a une grave crise monétaire ou de balance de paiement. Mais, il intervient à la demande du gouvernement pour le soutenir dans son effort d’aller vers une croissance durable.

DM/ Le taux d’intérêt du crédit prêté par le FMI est de 0 %. Alors que gagne-t-il dans ce programme ?

GL/ Ceci revient à la question précédente sur les programmes entre les pays riches et les pays pauvres. En fait, les pays en voie développement bénéficient des prêts de la part du FMI sur une enveloppe des ressources qui est en fait constituée par des dons et des prêts des pays riches. Donc, c’est une façon que le FMI retraite ses ressources par les Fonds Fudiciaires pour la réduction de la pauvreté et la croissance économique pour les redistribuer de façon concessionnelle avec les pays qui ont plus besoin. Quand on parle vraiment de façon concessionnelle actuellement pour la FEC comme c’est le cas avec la RDC, on parle d’un taux d’intérêt à 0 %. Par contre, si vous prenez un programme du FMI avec les pays tels que l’Ukraine, il y a le taux d’intérêt à payer. Et c’est sur ce taux que le FMI se rémunère.

DM/ Au cours de la première réunion de Troïka économique présidée par le Premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge, le Ministre du Budget Aimé Boji Sangara a renseigné que les indicateurs des finances publiques sont au vert. Est-ce que cette nouvelle peut rassurer le FMI avant l’évaluation à mi-parcours qui s’approche ?

GL/ C’est déjà une bonne nouvelle. A priori, la plupart des indicateurs vont dans le sens qui était prévu dans le cadre du programme soutenu par le FMI. Mais, il faut savoir d’abord comment se passe la revue du programme. On regarde à la fois le passé et le futur. Ce que le Ministre a voulu commenter, concerne le passé du programme. C’est un regard sur la période sous revue. Est-ce que les objectifs quantitatifs et structurels ont été atteints ? Et effectivement, c’est ce qui sera vérifié par la mission qui viendra de Washington et discutera ici avec les experts du gouvernement. Mais, il semble à priori que les objectifs en termes des recettes fiscales, de déficit budgétaire, de respect des certains plafonds d’endettement et d’accumulation des réserves de change soient respectés. Et il semble aussi que les conditionnalités structurelles, donc les reformes prévues ont été mises en œuvre avant telle ou telle date. Après la revue du passé, on regarde aussi l’avenir. On fixe de concert avec les autorités du gouvernement les objectifs pour les 6 ou 12 mois. Et il faut une crédibilité pour la mise en œuvre de ces réformes et un plan des réformes satisfaisant. Là aussi, ça fait partie de la revue. Il ne suffit pas de voir seulement les objectifs quantitatifs qui ont été atteints jusqu’à la date de la revue pour regarder l’avenir.

DM/ Au cas où les conditions ne sont pas respectées, quel sera le sort du programme ?

GL/ Tout d’abord, on a bon espoir que les conditions soient respectées et que cette revue puisse être conclue favorablement. Ce qu’il faut savoir dans ce cas, est que quand une revue ne peut être conclue, cela n’est pas obligatoirement un drame. On peut dire qu’il y a momentanément quelque chose en attente. Ça peut être la validation d’une réforme, la mise en œuvre d’une mesure pour contrecarrer un obstacle qui a été constaté les mois précédents dans l’exécution du programme. Certainement, il y a juste un peu de retard dans la validation d’une revue. Ça arrive énormément dans les programmes des pays conclus avec le FMI. Mais dans le cas de la RDC, on a bon espoir que le processus de revue qui commence prochainement, s’achève favorablement par une proposition au Conseil d’Administration du FMI d’ici la fin de l’année.

DM/ Est-ce que les Droits de Tirage Spéciaux entrent dans le cadre de la FEC ?

GL/ Le DTS désigne en quelque sorte la monnaie du FMI. C’est donc un calcul à partir d’un panier de monnaies qui correspond plus ou moins à l’importance de cette monnaie par rapport à la taille du pays et à leur actionnariat au sein du FMI. Donc, un DTS est un pourcentage de dollar américain, de yuan, d’euro, etc. Par exemple, le programme soutenu par le FMI pour un financement prévu sur trois ans qui est un DTS. Ce qui est donc l’équivalent de 100 % de ce qu’on appelle la quotepart de la RDC. Et ça correspond à un petit moins de 1 milliard de DTS au taux de change actuel. C’est comme ça qu’on a donné 1.5 milliards USD sur trois ans. Voilà donc ce que veut le DTS. Ce qui est donc important de comprendre est qu’au-delà du programme triennal, il y a l’approbation au mois d’août de l’allocation générale du DTS. Et c’est cette fois-ci indépendante du programme puisque pour l’ensemble des pays membres du FMI, cette allocation a été décidée pour faire face aux conséquences de la pandémie de covid-19 sur l’ensemble de l’économie mondiale pour permettre aux pays d’avoir plus des liquidités supplémentaires et d’accélérer la sortie de la crise générée par cette pandémie. Donc, dans le cadre de l’allocation de ces DTS et indépendamment du programme triennal, la RDC vient de bénéficier d’un décaissement équivalent de 1.5 milliards USD. Ce décaissement n’entre donc pas dans le cadre du programme. C’est pour dire que les DTS n’entrent pas dans le cadre du programme triennal en termes de ce que la RDC peut potentiellement recevoir du FMI. Et c’était déjà acté la somme de 1.5 milliards USD au titre de l’allocation spécifique des DTS. Et puis, il y a eu un premier décaissement de 219,6 millions USD. Si la première revue est validée par le Conseil d’Administration du FMI d’ici la fin de l’année, il y aura un deuxième décaissement qui sera calculé en fonction du taux de change de ce moment-là et qui sera de l’ordre de 215 à 220 millions USD. Ça, c’est le fonctionnement même du programme soutenu par le FMI.

Généralement, le financement est attribué et calculé sur l’ensemble de la durée du programme. Et il se trouve que dans le cadre de la RDC, il est prévu le même montant tout au long du programme. En tenant compte des besoins du pays, on peut soit donner un peu plus au début du programme, soit donner un peu plus à la fin du programme. Normalement, ce qu’il faut savoir est que le montant alloué pour ce programme au titre de la FEC est calculé en fonction d’un besoin estimé d’un balancement de paiement qui peut être très élevé au début du programme ou moins élevé les années suivantes ou encore équivalent toutes les années. Dans le cadre de la RDC, on a estimé le décaissement du même ordre ou du même montant.

Propos par Djodjo Mulamba

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