Economie

L’AIDE PUBLIQUE AU DEVELOPPEMENT CONTRIBUE-T-ELLE A L’AMELIORATION DE LA SANTE EN RDC ? 1 Par Bobo B. Kabungu, Ph. D.

Les pays à faible revenu ont, entre autres, pour caractère d’avoir une main systématiquement tendue vers ceux qu’ils aiment appeler « partenaires au développement ». Ces derniers, sur le plan bilatéral, accordent de l’aide pour l’amélioration des conditions de vie des populations de ces pays « en voie de développement » depuis bientôt un siècle (à se demander s’ils ne se seraient pas plutôt perdus) !

Alors que les études sur l’efficacité de cette forme d’assistance se multiplient, très peu traitent de la RDC, comme s’il s’agissait d’un pays où il ne sert à rien de creuser car tout est à ciel ouvert. Pour preuve, la dernière recherche de la Banque mondiale intitulée « l’aide financière accaparée par les élites » a ainsi porté son attention sur 22 pays, à savoir : l’Afghanistan, l’Arménie, le Burkina Faso, le Burundi, l’Erythrée, l’Ethiopie, le Ghana, la Guinée Bissau, la Guyane, la République du Kirghize, Madagascar, le Malawi, le Mali, la Mauritanie, le Mozambique, le Niger, l’Ouganda, le Rwanda, Sao Tomé et Principe, la Sierra Leone, la Tanzanie et la Zambie. Cette étude affirme qu’une part significative de l’aide « offerte » est souvent « capturée » par les politiciens et les bureaucrates et orientée vers les paradis fiscaux2.

Face à ce silence sur le cas de la RDC, le docteur Bobo B. KABUNGU résume ci-après un article  publié dans une revue scientifique et dont il est l’auteur principal. Dans son élan réflexif, ce chercheur au Centre de Recherche en Sciences Humaines (CRESH) et post-doctorant à l’Institut Universitaire de Développement International cherche à vérifier, grâce à un modèle économétrique et à partir des données secondaires fiables, si l’aide publique au développement contribue à l’amélioration de la santé en RDC.

LE PROBLEME 

La santé s’entend comme un état de sérénité à la fois quantifiable à l’aide d’indicateurs objectifs à l’instar de l’espérance de vie ou du taux de mortalité infantile et subjectif tant il renvoie à une certaine perception de la qualité de vie. L’Institut de santé publique du Québec cité par Bourdillon, Brücker et Tabuteau (2016) définit, pour sa part, la santé publique comme l’étude des déterminants de la santé de la population et des actions menées en vue de l’améliorer et spécifie que ces déterminants peuvent être physiques, psychosociaux et socioculturels.

S’agissant particulièrement la RDC, l’OMS (n. d.) note qu’influer sur les déterminants de la santé, notamment le revenu, l’éducation et l’accès à l’eau potable, demeure l’une des priorités dans le cadre de la contribution du pays au Programme mondial d’action sanitaire. En outre, le Ministère de la Santé Publique en RDC (2016) a inscrit, dans son Plan 2016-2020, la rationalisation du financement de la santé en ordre utile, dans un contexte d’amenuisement des ressources intérieures dédiées à ce secteur.

Ce qui précède met en lumière tout l’intérêt de cette étude qui voudrait s’appesantir sur les déterminants socioéconomiques de santé en RDC, avec un focus sur l’aide publique au développement.

Dans sa rubrique Publication institutionnelle, l’Agence Française  de Développement (2015) indique, sur son site internet, que l’aide internationale qui représente environ 15,0 % du budget total de l’Etat est devenue vitale pour la RDC, un pays qui souffre de nombreuses fragilités menaçant sa stabilisation.  Cette Agence renseigne en plus que, rapportée au revenu national brut, l’aide publique au développement en faveur de la RDC est supérieure à celle de la moyenne des pays de la sous-région :

« La stabilisation progressive du pays, opérée entre 2001 et 2003, a permis aux bailleurs de fond de revenir en RDC. Depuis cette reprise d’activité, le volume de l’aide publique au développement (APD) en faveur de la RDC n’a cessé d’augmenter pour atteindre, en 2012, le montant net de 2,9 milliards de dollars. Cette somme représente alors 17,8 % du revenu national brut (RNB) contre 25,2 % en 2006. A titre de comparaison, dans l’ensemble des pays d’Afrique subsaharienne, ce ratio s’élevait en moyenne à 3,2 % la même année (…). Bien qu’en diminution relative, l’aide demeure donc une ressource très importante pour la RDC » (Agence Française de Développement, 2015, p. 8).

Par ailleurs, en consultant la base de données de la Banque mondiale, il s’observe, à première vue, un parallélisme entre l’évolution des agrégats macroéconomiques tels que le taux de croissance économique et l’aide publique au développement et la tendance des indicateurs sociales à l’instar de l’espérance de vie et de la mortalité infantile, entre 1970 et 2015, à l’exception de la décennie 1990 caractérisée par une déconfiture économique et une destruction du tissu social. En effet, tous ces indicateurs se sont sensiblement améliorés entre les années 1970 et les six premières années de la décennie 20103, mais à des niveaux différents : l’espérance de vie a ainsi augmenté de treize ans, la mortalité infantile a baissé de 54,0 %, l’activité économique s’est accrue de 7,4 points de pourcentage, l’aide publique au développement a été multipliée par 3,7 entre les deux périodes.

Cette évolution similaire en termes de tendance ne suffit pas pour affirmer l’existence d’une relation de cause à effet entre les variables. Une étude élaborée est donc nécessaire. La modeste ambition de l’étude est de partir de la littérature et des données disponibles en la matière pour vérifier, grâce à une méthode économétrique, la relation empirique entre l’aide publique au développement reçue par la RDC et l’état global de santé dans le pays. L’originalité de notre analyse sera de recourir à l’espérance de vie pour capter la santé dans sa dimension globale, de remonter audelà des années 1990 dans la chronologie et de contribuer à l’aide à la décision, en cette période où le pouvoir politique se réclame d’une obédience socio-démocrate et compte notamment sur un accompagnement extérieur pour améliorer les conditions de vie de la population congolaise.

L’AIDE RECUE COMME DETERMINANT DE LA SANTE : DES AVIS PARTAGES 

En matière de santé, un déterminant renvoie à la causalité, à la différence du « facteur de risque » qui fait allusion à une modification de la probabilité de survenue d’un événement de santé. Alla (2016) appelle « déterminants de santé » les facteurs qui influencent l’état de santé des individus ou des populations et sur lesquels repose le principe de l’intervention en santé publique.

D’une manière globale, la conjoncture économique et l’environnement conditionnent quelque peu la santé des populations, avec un impact différent selon les milieux et les niveaux de développement des pays ou des régions considérés. S’agissant spécifiquement de la variable « aide reçue », nombreux sont les auteurs qui l’ont mise en relation avec la santé captée, selon le cas, par la mortalité infantile ou l’espérance de vie.

Parmi ces études, celle de Korachais (2010) reste une référence. En effet, à partir des données de 88 pays en développement et en transition sur la période 1996-2007, ses travaux suggèrent que l’aide affectée à la santé est efficace pour améliorer la survie des enfants, et qu’elle l’est davantage dans les pays les plus touchés par des taux de mortalité importants. Près de douze ans plus tôt, Burnside et Dollar (1998) ont étudié, en recourant à la Méthodes des Moindres Carrés (MCO), le lien entre l’aide totale et la mortalité infantile en tant que proxy de la santé. Leurs recherches aboutissent à prouver que l’aide améliore réduit la mortalité des enfants.

Wolf (2007) quant à lui a mené une étude macroéconomique des déterminants de la santé avec comme variables explicatives les dépenses publiques de santé par tête, la prévalence du SIDA, l’accès à l’eau potable, le taux de fertilité et l’aide totale en % du PIB. Il parvient, à partir d’une MCO et des données de 110 pays prises en coupe instantanée, à montrer que les taux de fertilité et de natalité ainsi que l’aide totale (en % du PIB) affectent négativement et de manière significative la santé captée par le taux de mortalité infantile.

Pour leur part, Williamson et Boehmer (1997) ont mis en exergue la qualité des institutions, la contribution de l’engagement de l’Etat et les normes culturelles à la santé. Ils révèlent que la qualité des institutions et l’égalité des genres améliorent très significativement l’espérance de vie dans l’échantillon de 97 pays considérés.

Partant de ce parcours théorique et empirique, l’hypothèse de l’étude est que l’aide publique au développement reçue par la RDC a sensiblement et positivement influencé la santé en RDC de 1970 à 2015.

LA METHODOLOGIE UTILISEE 

La modélisation est une formalisation de la théorie. Elle constitue, de ce fait, une étape  importante dans la mise en œuvre d’une théorie économique. Sur la base de la revue de la littérature exploitée, le modèle retenu a été celui de la régression linéaire multiple. Il a été estimé par la méthode des Moindres Carrés Ordinaires (MCO) à l’instar de Burnside et Dollar (1998) et Wolf (2007).

Cependant, si ces auteurs ont préféré utiliser la mortalité infantile comme proxy de la santé, dans cette étude, nous avons penché pour l’espérance de vie à la naissance qui « représente la durée de vie moyenne – autrement dit l’âge moyen ai décès – d’une génération fictive soumise aux conditions de mortalité de l’année. Elle caractérise la mortalité indépendamment de la structure par âge » (INSEE, 2016).

Ce choix est justifié par le fait que « l’espérance de vue à la naissance est l’un des indicateurs de l’état de santé les plus fréquemment utilisés » de nos jours (OCDE, n.d.) et qu’elle considère la santé dans bien de ses dimensions qui culminent à la durée et à la qualité de la vie. Mususa  Ulimwengu (2015) affirme que l’espérance de vie est considérée comme appropriée pour mesurer les aspects de la santé dans la société et propice à la résilience économique. Messaili et Tlilane (2017) ont utilisé cet agrégat pour capter l’état de santé dans le cadre d’une analyse longitudinale couvrant la période 1974-2010.

Le modèle théorique à estimer peut être spécifié la manière suivante :

(1)               ESPV= F (TCRE, TINF, APDR, ECO2, TCRD)

Où,  ESPV : Espérance de vie à la naissance APDR : Aide publique au développement  TCRE : Taux de croissance économique  ECO2 : Emission des gaz à effet de serre  TINF : Taux d’inflation TCRD : Taux de croissance démographique

L’équation (1) peut se lire de la façon suivante : l’espérance de vie est fonction ou dépend du taux de croissance économique, du taux d’inflation, de l’aide publique au développement, de l’émission de CO2 et du taux de croissance démographique.

LES RESULTATS DE L’ETUDE  

Évolution des variables

Entre 1970 et 2015, l’on observe que l’espérance de vie en RDC a gardé un trend haussier à l’exception de la décennie 1990 durant laquelle l’évolution a stagné, dans un contexte de décroissance économique, d’hyperinflation, de fléchissement de l’aide publique au développement reçue et de paupérisation de la population sans cesse croissante. En ce qui concerne l’environnement appréhendé par la qualité de l’air, il est noté que la tendance des émissions de CO2 (kg par USD de 2010 de PIB) dessine une hyperbole à concavité tournée vers le haut. En effet, en excluant la première phase ascendante entre 1970 et 1980, il est remarqué globalement une chute des émissions jusqu’en 2000, puis une augmentation progressive qui s’accélère à partir de 2013. Le graphique 1 est révélateur à ce sujet.

Estimation, validation et interprétation des résultats

Les résultats de l’estimation finale après toutes corrections est présenté ci-après :

Tableau 1. Résultats de l’estimation des paramètres de l’équation (2)

NB : Les chiffres entre parenthèses sont des écarts-types et entre-crochets sont les t-statistique. L’astérisque (*) signifie que le coefficient est significatif au seuil de 1%,   (**) indique qu’il est significatif  au seuil de 5% et (***) indique qu’il est significatif au seuil de 10%.

Source : Calculs de l’auteur à l’aide du logiciel EVIEWS 7

Pour ce qui est de l’aide publique au développement reçue, il s’avère que son accroissement de 1,0 % impliquerait une baisse de l’espérance de vie de 0,0000161%. Ceci s’explique dans la mesure où cette assistance n’est pas toujours orientée vers les secteurs sociaux (éducation, santé…) et les infrastructures de base (routes, eau, énergie…) dont l’effet sur le mode de vie est indéniable.

QUE RETENIR ? 

L’objectif de la recherche était de vérifier économétriquement, à partir des données socioéconomiques de 1970 à 2015, grâce à une méthode économétrique, l’impact que l’aide publique au développement pourrait avoir sur l’espérance de vie, proxy de la santé, en postulant que cet effet serait positif et significatif. Cependant, l’étude révèle que l’aide publique au développement (autant que la croissance démographique) a une incidence négative sur la santé en RDC. L’hypothèse est donc infirmée. Ces résultats confortent ceux de Williamson et Boehmer (1997) qui ont souligné le désavantage d’une forte natalité sur la santé mais nuance les propos de Burnside et Dollar (1998) qui ont trouvé que l’aide reçue contribuait à améliorer la santé de la population du pays bénéficiaire. En revanche, cette étude rejoint celle de Wolf (2007) pour qui l’aide a un effet négatif sur la santé. D’où l’intérêt d’envisager une étude intégrant la qualité des institutions (Williamson et Boehmer, 1997)  pour capter les éléments éventuels faisant état de corruption ou de détournement des fonds publics qui peuvent rendre nulle ou néfaste l’aide reçue. En outre, l’on aurait également avantage à tenir compte de la partie de l’aide affectée essentiellement à la santé.

Les décideurs politiques devraient donc améliorer l’affectation de cette assistance après un audit de la gestion de l’aide reçue jusqu’ici. Ceci devrait contribuer à canaliser les ressources extérieures (et même intérieures) vers les axes pro-santé, dans l’optique de la rationalisation du financement de la santé inscrite dans le Plan National de Développement Sanitaire de la RDC. En sus, les pouvoirs publics tireraient avantage en investissant davantage dans la sensibilisation pour asseoir le planning familial dans les mentalités, de manière à mieux réguler la croissance démographique au regard de l’impact négatif de l’augmentation de la population sur la santé.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES 

  • Agence Française de Développement (2015). République Démocratique du Congo : Cadre d’Intervention Pays 2015-2019.  BOURBONNAIS, R. (2015). Econométrie : Cours et exercices corrigés. Paris : Dunod. 9ème édition.
  • BOURDILLON, F., BRÜCKER, G. & TABUTEAU, D. (2016). Traité de santé publique. Paris : Lavoisier (3ème édition).  BURNSIDE, C. & DOLLAR, D. (1998). Aid, the incentive regime, and poverty reduction. World Bank Policy Research Paper. N°1937.
  • INSEE (2016). Espérance de vie. [en ligne] https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1374.
  • KORACHAIS, C. (2010). Contribution de l’aide publique au développement à l’amélioration de la santé dans les pays en développement. Thèse de doctorat. Faculté des Sciences Economiques et de Gestion – Université d’Auvergne Clermont-Ferrand I.
  • MESSAILI, M. & TLILANE, N. K. (2017). Dépenses publiques de santé et santé de la population en Algérie : une analyse économétrique. Santé Publique. 3(29)
  • Ministère de la Santé Publique en RDC (2016). Plan National de Développement Sanitaire 2016-2020 : Vers la couverture sanitaire universelle. Kinshasa : Ministère de la Santé Publique.
  • MUSUSA ULIMWENGU, J. (2015). Comprendre la résilience économique. Revue Congolaise de Politique Economique.1(1), 1-11.
  • OCDE (n. d.). Etat de santé – Espérance de vie à la naissance. [en ligne] https://data.oecd.org/fr/healthstat/esperance-de-vie-a-la-naissance.htm.
  • (n. d.). Stratégie de Coopération de l’OMS avec le pays. République Démocratique du Congo 2017-2021. [en ligne] https://www.who.int/emergencies/crises/cod/rdc-css-2017-2021.pdf?ua=1.
  • WILLIAMSON, J. B. & BOEHMER, U. (1997). Female life expectancy, gender stratification, health status, and level of economic development: a crossnational study of less developed countries. Social Science and Medicine. 45(2), 305-317.
  • WOLF, S. (2007). Does Aid Improve Public Service Delivery? Review of World Economics. 143(4), 650-672.

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