Culture

Les Regards des Autres

Nous vous proposons, dans cette rubrique, un texte de 2005 de notre compatriote, le Professeur des universités, Tshisungu, vivant à Montréal/Canada. Sa façon, toute particulière de présenter le dramaturge et l’ensemble de son oeuvre de l’époque, sort de l’ordinaire.

Théâtre katshimbikien :

 LIEU DE RÉSISTANCE et DE CONFRONTATION

“ Depuis  quarante   ans1, l’écrivain Katsh M’Bika Katende ne se lasse pas d’écrire des pièces de théâtre, de les mettre en scène et de représenter par la parole déclamée et écrite les  travers et les dérives de la société congolaise. Il s’approprie ainsi des espaces tantôt clos, tantôt ouverts où l’on célèbre le discours dans sa pluralité sémantique. À 55 ans, on lui doit quarante-six pièces de théâtre, ce qui fait de lui le dramaturge congolais le plus fécond. Sous d’autres cieux, il serait vu comme une véritable conscience morale de la nation, une autorité intellectuelle incontournable. En raison de l’enracinement de la médiocrité dans la culture politique congolaise, les  génies sont considérés comme des gens déconnectés de la réalité, celle de la corruption active et de l’hédonisme immédiat.

L’homme est né à Likasi en 1950. Son destin a rencontré le théâtre à 8/9 ans, c’était au lendemain de premières élections communales de 1957-1958, à Likasi et Lubumbashi, durant lesquelles le pouvoir colonial promut l’idéologie tribale comme une modalité de la stratégie politique, idéologie que l’œuvre de Katende pourfend avec vigueur et lucidité.

Grâce à sa production intellectuelle, un pan important de la mémoire collective congolaise est préservé.  Ce pan va de la naissance de la modernité politique en 1957 aux turpitudes d’aujourd’hui. Bien malin celui qui dira comment la nation s’en sortira.

Les quatre décennies2 d’écriture dramaturgique examinées montrent que l’activité de l’écrivain s’inscrit dans l’histoire de la RDC comme une réponse à une commande sociale consciente. Il refuse de faire du théâtre une simple représentation de la vie ; il  en fait un lieu de confrontation et de résistance à l’oppression sous toutes ses formes. Son théâtre est une immense métaphore qui dissimule un engagement social et politique, toujours en quête des valeurs idéales.

En considérant une à une ces décennies de création, on constate qu’entre 1966 et 1976, le contexte politique du pays est marqué par la mise en place des institutions destinées à gérer un régime dictatorial, notamment le monopartisme. Le jeune dramaturge qui a nourri son art d’apports divers livre au public sa première pièce de théâtre en 1977. Elle porte le titre significatif de Nkosi Sikelel’i Africa. C’est un cri politique que personne n’entend. En cette année-là, le régime Mobutu fait face à la guerre du Lualaba plus connue sous le nom de la guerre de 80 jours. Les habitants du Katanga sont collectivement soupçonnés d’être de mèche avec les rebelles venus d’Angola. Notre dramaturge s’insurge contre ce soupçon injustifié.

Durant la décennie 1980-1990, le théâtre de Katende va jouer un rôle d’éveilleur de la conscience de ceux qui hésitent à combattre la dictature (Lève-toi et marche, 1980). L’écrivain est excédé, il n’hésite pas à apostropher le dictateur (Halte ! Bimweka Bipwa, 1980). Il cherche parmi les héros du passé un modèle de courage à proposer aux jeunes générations pour promouvoir le changement (Kimbangu, l’Africain, 1981). Il constate aussitôt l’impasse dans lequel s’est engagé le régime du Maréchal Mobutu (À la croisée des chemins, 1984) et il se tourne vers la question sociale du moment. On voit alors apparaître les premiers signes de sa défense des droits de la femme (Pleure, ô ! Femme noire, 1984). Mais, c’est avec la pièce Ton combat, femme noire, écrite en 1974, mais publiée en 1985 que le parti pris féministe du dramaturge s’affirme avec passion.

Son obsession à interroger le sens de l’acte politique l’amène à constater le pourrissement du Parti-État en tant qu’incarnation de la bêtise institutionnalisée (

dramaturge, il les formule clairement et cherche des réponses en puisant dans l’histoire (Le sang Ou Le passé est-il mort ? 1987) ou en se projetant dans le futur (Demain ? Un autre jour ! Ou De quoi souffre-t-elle ?, 1987). Les préoccupations socio-économiques multiples de Katende  transparaissent dans son théâtre. Ses  solutions se figent souvent dans l’interrogation (Oscar ! Du développement, du bonheur ou de la délivrance ? , 1987). Dans cette embellie qui a toute l’allure d’une extase, l’écrivain traverse une période de doute comme en témoigne les deux pièces suivantes : Ma longue marche ou Kiboko, 1989 ; Je ne suis plus sûr de rien, 1989.

La décennie 1991-2001 est celle où le dramaturge se montre d’une fécondité étonnante. Alors que le début de cette décennie correspond à la période de la chasse aux non-originaires du Katanga qui condamne le dramaturge à l’errance entre Likasi, Lubumbashi, Kananga, Kinshasa, Mbuji Mayi, Mwena Ditu et Tshimbulu, on se serait attendu à une baisse de la productivité. Bien au contraire, face aux louvoiements des politiciens consécutifs au discours sur la libéralisation politique, au massacre des étudiants de l’UNILU et aux débuts chaotiques de la Conférence nationale souveraine, le dramaturge rêve d’un autre pouvoir, celui des créateurs de jours nouveaux (Demain, les artistes, 1991). Par ailleurs, il interpelle  son peuple à travers un titre très explicite (Réveillez-vous ! On incendie le pays, mais vous, vous jouez avec la noix de palme, 1991). Il constate aussitôt le dilemme congolais (Entre le rez-de-chaussée et la cave, 1993).

Comme un héraut infatigable, il lance de nouveau le cri d’alarme (S.O.S  Famine. Touchez pas à mon vélo ! , 1994). Des vieux démons politiques le démangent. Ceux-ci tiennent de la souffrance leur logique implacable (Vous avez dit : Génocide ? Génocide ! 1995 ; Les enfants d’abord ! , 1995 ; La joue droite, 1995). Inlassablement le dramaturge revient à la charge pour armer moralement ses compatriotes (Là où il n’y a pas d’hommes, soyez un homme, 1996 ; Verser l’enfant avec l’eau de son bain, 1996 ; Demain, il sera trop tard, 1996 ;  Évitable, n’est-ce pas, 1997 ; Père où es-tu ?, 1997).

La chute de la dictature mobutiste  et l’arrivée du nouveau pouvoir allianciste ne semblent pas avoir soulevé de nouvelles interrogations chez le dramaturge. Les mêmes thèmes perdurent, notamment le féminisme (Elle n’est que ma nouvelle collaboratrice, 1997) ; la promotion du changement (En avant, marche, 1998 ; Jeune, affronte ce combat, 2000) ; le doute obsessionnel (L’Afrique noire n’était pas partie du tout, 1998) ; la mort  programmée (C’est Lubuya qu’on assassine, 1998 ; S.O.S. Enfants ! Arrêtez le massacre, 1998), le retour à l’essentiel (Aujourd’hui, la culture, 1999) ; l’action immédiate (C’est dans la nuit qu’il est beau de croire à la lumière, 1999) ; la dénonciation de la démagogie (Tant le vrai me tient à cœur, 2001).

Depuis l’an 2002, la quatrième décennie de création katendiste a commencé. Le dramaturge semble de nouveau optimiste (Tout est possible, 2002 ; Demain, la victoire, 2003). Quoique dubitatif, il adresse cependant sa première question aux nouveaux maîtres (Qui entretient la crise, 2002) et dénonce l’insouciance des arrivistes (On s’installe, 2004).

Les quarante-six pièces de Katende, dont je viens d’évoquer brièvement le thème en rapport avec la métaphore politique, constituent une somme importante du patrimoine littéraire et théâtral de la RDC. C’est une œuvre qui fait place aux questions d’identité et du devenir de la nation congolaise traumatisée par le sous-développement chronique.

C’est l’œuvre d’un homme optimiste et engagé à travers son art à contribuer au changement. Il fut le premier, il y a vingt-cinq ans, à thématiser les questions de droits des enfants et des femmes dans les quartiers populaires du triangle Lubumbashi-Likasi-Kolwezi, au péril de sa vie.

Professeur José TSHISUNGU wa TSHISUNGU

Montréal/Canada-2005

 

 

  1. Ce texte est de 2005.
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