Culture

Les Regards des Autres : C’est la mise en scène qui est le théâtre

Le Théâtre a connu, ici chez nous, une assez longue période de bonheur… L’âge d’or… Toute manifestation officielle était toujours précédée de la représentation scénique d’une pièce locale ou non, mais en rapport avec l’événement en exergue… Dans l’industrie minière, par exemple, le Théâtre avait été utilisé, avec bonheur inégalé, pour soutenir la productivité. Ce rapport entre la production et les moyens – humains, matériels et financiers – mis en œuvre pour sa réalisation… Pour y arriver, pour atteindre l’objectif : minimiser l’absentéisme et les accidents sur les lieux de travail, maintenir en bon état de fonctionnement l’outil de travail afin d’accroitre toujours la production… Un service d’action sociale a été monté à cet effet ; et des moyens tant humains, matériels que financiers conséquents lui ont été octroyés… Des cercles récréatifs ont été érigés… Au-delà du délassement et de la récupération des forces, l’accent particulier a été mis sur la sauvegarde de la personnalité de l’ouvrier pour toujours plus d’efficacité. Le Théâtre y a joué un rôle prépondérant. Dans la mouvance de la 61ème Journée Mondiale du Théâtre, célébrée le 27 mars de chaque année, nous vous proposons un texte tiré du retentissant ouvrage intitulé « Le théâtre et son double », Ed. Gallimard, d’Antonin Artaud, 1896-1948, homme de théâtre français. Un livre de chevet de la plupart des comédiens, metteurs en scène… Et son influence est parvenue jusqu’au Kongo. Les observateurs attentifs vont se rappeler le colloque, organisé, il y a des décennies, à Kinshasa, et axé autour du thème : « Le théâtre, est-ce le texte d’abord ? » On ne le dira jamais assez : la relance de notre économie passe également par la reconstruction du mental du Kongolais lambda… Le premier chantier de la République ! En faveur duquel la redynamisation du théâtre s’impose… Théâtre pour les enfants, pour les adolescents, pour les jeunes, pour les enfants dits de la rue – en fait des enfants vulnérables et pour les adultes…

« Dans notre théâtre qui vit sous la dictature exclusive de la parole, ce langage de signes et de mimique, cette pantomime silencieuse, ces attitudes, ces gestes dans l’air, ces intonations objectives, bref tout que je considère comme spécifiquement théâtral dans le théâtre, tous ces éléments quand ils existent en dehors du texte, sont pour tout le monde la partie basse du théâtre, on les appelle négligemment « de l’art », et ils se confondent avec ce que l’on entend par mise en scène ou « réalisation », bien heureux quand on n’attribue pas au mot de mise en scène l’idée de cette somptuosité artistique et extérieure, qui appartient exclusivement aux costumes, aux éclairages et au décor.

Et en opposition avec cette façon de voir, façon qui me paraît à moi tout occidentale ou plutôt latine, c’est-à-dire butée, je dirai que dans la mesure où ce langage part de la scène, où il tire son efficacité de sa création spontanée sur la scène, dans la mesure où il se bat directement avec la scène sans passer par les mots (et pourquoi n’imaginerait-on pas une pièce composée directement sur la scène, réalisée sur la scène), – c’est la mise en scène qui est le théâtre beaucoup plus que la pièce écrite et parlée.
(…) Ce qu’il y a de latin, c’est ce besoin de se servir des mots pour exprimer des idées qui soient claires. Car pour moi les idées claires sont, au théâtre comme partout ailleurs, des idées mortes et terminées.

L’idée d’une pièce faite de la scène directement, en se heurtant aux obstacles de la réalisation et de la scène, impose la découverte d’un langage actif, actif et anarchique, où les délimitations habituelles des sentiments et des mots sont abandonnées.

En tous cas, je m’empresse de le dire tout de suite, un théâtre qui soumet la mise en scène et la réalisation, c’est-à-dire tout ce qu’il y a en lui de spécifiquement théâtral, au texte, est un théâtre d’idiot, de fou, de grammairien, d’épicier, d’anti-poète et de positiviste, c’est-à-dire d’Occidental.

Je sais bien d’ailleurs que le langage des gestes et attitudes, que la danse, que la musique sont moins capables d’élucider un caractère, de raconter les pensées humaines d’un personnage, d’exposer des états de conscience clairs et précis que le langage verbal, mais qui a dit que le théâtre était fait pour élucider un caractère, pour la solution de conflits d’ordre humain et passionnel, d’ordre actuel et psychologique comme notre théâtre contemporain en est rempli ? (…) »

Le théâtre en langues nationales et l’oralité

Kyembe Odilon, 1935-2021, alias Mufuankolo, Paix à son âme, qui vient de repartir de la Terre, après une longue et brillante carrière, en acceptant de nous intégrer dans sa troupe, nous a offert l’opportunité, non seulement de jouer avec lui, à ses côtés ; mais surtout de constater, avec ravissement et de l’intérieur, que le souhait d’Antonin Artaud a été largement accompli à Lubumbashi. En effet ! Les acteurs majeurs se permettent, sans perdre le fil conducteur ni entraver le jeu des autres acteurs de la Troupe, de monter l’intensité dramatique directement de la scène. Sublime d’avoir découvert un langage actif. Tout en refusant de passer au langage anarchique, dans n’importe quel sens. Oui, dans certains cas exceptionnels, c’est la mise en scène qui fait le théâtre.

Et là, l’oralité qui nous caractérise depuis des âges – de par de grandes réunions populaires sous le baobab, appelées abusivement arbre à palabres – nous a servi de tremplin afin de nuancer les propos mis en exergue ci-haut.

Le Théâtre, l’art le plus éminent…

Pour nous, la confusion n’existe pas. L’Art n’est pas une invention humaine spécifique, ni un passe-temps favori et encore moins un luxe. L’Art est bel et bien un DON du Créateur pour maintenir éveillé l’esprit d’un être humain. Et un esprit éveillé est un être humain debout…

Partant de cette conviction, le théâtre, le fils ainé de la littérature, donc de l’Art – lequel est le fils aîné de la Culture de tout Peuple : le socle, mieux l’âme collective du développement – est l’une des formes de l’Art qui utilise la parole, l’un des dons magiques du Créateur aux hommes. Pour quelle raison cherchez vous à l’écarter ?

Les mots, artistiquement agencés, parce que reçus par inspiration interposée, possèdent une telle puissance que leur action sur l’esprit d’un être humain, se poursuit au-delà de la représentation scénique. C’est seulement au Théâtre, et nulle part ailleurs. En effet ! Certaines pièces, interprétées par des acteurs majeurs, ne cessent de nous offrir un bonheur sans fin, nous transportant toujours vers les hauteurs de lumière. D’où un bonheur immense nous envahit. Et pendant ce temps, bref malheureusement, nous oublions les côtés éphémères de la vie pour ne nous focaliser que sur l’essentiel : Aimer et être aimé. N’est-ce pas merveilleux ?

Le théâtre est le texte d’abord ! C’est en cela que réside l’objet d’art. Et le dramaturge qui le reçoit, en toute humilité, prévoit, au travers de cette réception de Haut en bas, tous les éléments de sa mise en scène. Tout se tient !

Mweena Ngenyi wa Kumvuila

 

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