Economie

Observatoire de la Dépense Publique (ODEP) : Florimond Muteba : « Le recours au financement monétaire est une catastrophe »

La République Démocratique du Congo fait face à une dépréciation de sa monnaie. Les finances publiques sont au rouge. Au-delà des mesures à court terme, arrêtées pour redresser le Francs Congolais, il faut « changer la vision globale en matière de politique économique ». C’est en tous cas ce que préconise le professeur Florimond Muteba, président du Conseil d’Administration de l’Observatoire de la dépense publique. Le chef de cette ONG qui fait office de lanceur d’alerte face au manque d’orthodoxie financière dans le chef des acteurs publics, sonne l’alarme : « le recours au financement monétaire est une catastrophe ». Interview exclusive.

Géopolis Hebdo : Alors que la crise économique et financière s’accentue, quelles sont selon l’ODEP, les mesures idoines que le gouvernement se doit de prendre pour enrayer cette crise ?

Florimond Muteba : Notre crise économique et financière a des bases structurelles. Nous nous accommodons et nageons depuis 60 années dans l’extraversion économique ; Thomas Sankara, parlant de l’impérialisme disait à ses compatriotes, n’allez pas loin pour chercher l’impérialisme, il est dans nos assiettes, notre habillement, nos meubles, nos moyens de locomotion, notre culture ambiante,…

Nous devons changer de vision globale en matière de politique économique. Nous devons opter pour la construction d’une économie endogène, autocentrée, autodéterminée. Nous devons conceptualiser notre construction économique en termes d’intérêts populaires :

  • Construire une industrie devant être mise au service de la productivité agricole ;
  • Nos relations externes économiques et/ou politiques doivent être soumises aux exigences de notre accumulation intérieure ;
  • Nous devons articuler un secteur moderne de l’industrie rénovée dans ses orientations de base, au secteur de petites industries rurales qui permette de mobiliser directement les forces latentes de progrès ;

De cette vision pourront découler de nombreuses mesures idoines pouvant permettre d’enrayer notre profonde crise de sous-développement.

GH : La monnaie locale n’en finit pas de se déprécier face au dollar. Quel pourrait être le meilleur moyen pour la stabiliser ?

FM : Nous sommes sur le terrain classique, basique, de la loi de l’offre et de demande. Il faut remettre le pays au travail, relancer la production dans tous les secteurs pour inonder le marché local, relancer les exportations et générer suffisamment des rentrées en devises pour augmenter l’offre en devises dans notre économie et petit à petit réduire la demande locale de biens de consommation importés et pour les ménages et pour la consommation industrielle. Si nous nous lançons dans une voie de la construction économique indépendante, nous pouvons même emprunter vingt milliards de dollars pour la mettre en œuvre, tout en menant une guerre sans merci contre la corruption, on remboursera très vite ces milliards

GH : Le recours à la planche à billet est-il dangereux, comme le soulignent certains économistes ?

FM : C’est évident que le recours au financement monétaire est une catastrophe. Lorsqu’on n’arrive pas à mobiliser les recettes publiques, face à des multiples besoins contraignants de l’Etat, la tentation est forte d’inonder le marché de la monnaie que l’on peut frapper soit même, l’offre de la monnaie locale explose, alors que la monnaie étrangère se raréfie, forcément le taux de change est en faveur de la monnaie qui se raréfie et la valeur du Franc Congolais se déprécie. Le remède est dans la relance de la production locale, dans l’augmentation des exportations et dans la réduction des importations inutiles des biens de consommation de masse que l’on peut produire localement et notre engagement progressif dans la construction du développement endogène.

GH : Le fait que les finances publiques soient au rouge est dû uniquement à la pandémie de Covid ou est-ce qu’il y a encore d’autres facteurs endogènes qui gangrènent les finances publiques de la RDC ?

FM : La Covid-19 est venue trouver le pays dans la boue de la gestion désastreuse du programme de 100 jours du Chef de l’Etat.

Dans ses différents rapports, l’ODEP a toujours dénoncé le dysfonctionnement quasi structurel de la gestion de nos finances publiques notamment la non exhaustivité des budgets, le manque de réalisme, l’irrationalité des dépenses, une budgétisation non fondée sur les politiques publiques, une budgétisation non fondée sur la lutte contre la pauvreté… il faut en outre noter :

  • Le non-respect de la procédure d’encaissement et de décaissement des fonds, selon les chaînes des recettes et des dépenses ;
  • Le dépassement des allocations budgétaires des institutions et ministères de souveraineté, au détriment des ministères à caractère social et économique ;
  • Le volume trop élevé des régimes fiscaux spéciaux (exonérations, taux particuliers, exemptions, etc.) appliqués aux personnes physiques et morales ; ce qui influe négativement sur le niveau de mobilisation des recettes publiques ;
  • Le déficit de suivi et de contrôle par le Parlement, l’Inspection Générale des Finances et la Cour des Comptes, dans l’exécution du budget ;
  • La disparité entre les données de la DGRC et les états de suivi budgétaire produits et publiés par le Ministre du Budget.

GH : Comment qualifieriez-vous le système de gestion actuelle. Se basant sur les règles en matière de finances publiques, l’ODEP peut-il dire que la RDC est un bon élève en termes de bonne gouvernance ?

FM : La RDC reste un très mauvais élève en termes de bonne gouvernance. Outre les remarques que je viens de faire sur la précédente question, on ne tire même pas les leçons des erreurs à peine commises avec la gabegie financière dans la gestion du programme de 100 jours, sanctionné par des lourdes condamnations judiciaires. Le programme multisectoriel de riposte contre la Covid, est lancé et géré en violation des lois relatives aux finances publiques, c’est-à-dire sans le quitus du parlement. Quelles seront les conséquences ? Comment ces récidivistes vont-ils se défendre demain face à la clameur publique et face à la communauté internationale !!!

GH : Est-il possible pour l’économie Congolaise d’atteindre la résilience ? Si oui comment ? Si c’est non, pourquoi ?

FM : Trop des préalables sont loin d’être réunis comme je viens de le dire en réponse aux questions précédentes. Si on y ajoute la médiocrité ambiante, le manque de culture politique et démocratique des dirigeants de tous bords, le manque d’amour pour le Congo et pour les congolais, leur course effrénée au pouvoir pour le pouvoir et à l’enrichissement personnel, atteindre la résilience pour notre économie relève de l’utopie.

Propos recueillis par Patrick Ilunga

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