Culture

Protection du patrimoine culturel : 35.000 œuvres patrimoniales à la recherche d’un toit en RDC

Alors que la Belgique se prépare à rapatrier des œuvres d’art congolaises, l’Institut des musées nationaux du Congo est chassé du mont Ngaliéma. Les œuvres collectées à travers tout le pays depuis 52 ans sont en danger. Placide Mumbembele est le directeur des musées du Congo et voici quelques mois, il était particulièrement fier d’inaugurer le nouveau Musée national, construit grâce à la coopération de la Corée du Sud et installé à côté du Palais du peuple, siège du Parlement de la RDC. Aujourd’hui, ce spécialiste de la conservation des œuvres d’art est frappé d’insomnies : un conseiller de la présidence de la République lui a transmis un ordre d’évacuer le musée qui abrite plus de 45.000 objets d’art congolais.

En effet, ce musée, situé sur le site présidentiel du mont Ngaliéma, que tous les écoliers de Kinshasa ont visité, que les touristes apprécient, a été construit du temps du président Mobutu, sur le conseil du baron Powis de Ten Bossche. Passionné par l’art congolais, le baron Powis avait convaincu le chef de l’État de constituer une très belle collection d’œuvres représentatives de toutes les provinces du pays ; celles-ci furent réunies voici 52 ans.

Hélas, le déclin du régime Mobutu fut aussi celui de l’Institut des Musées nationaux du Congo (IMNC) : faute d’entretien, il pleuvait dans les salles, les œuvres réunies dans un entrepôt sur de simples rayonnages se couvraient de poussière, les termites faisaient leur œuvre… Lors de la fin du règne de Mobutu, le personnel du musée, impayé depuis des mois et oublié par les nouveaux dirigeants fit preuve d’héroïsme : après qu’un raid audacieux, mené par des militaires rebelles, appartenant à l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération) ait permis de dérober quelques-unes des plus belles pièces du musée, les gardiens et autres membres du personnel se mobilisèrent pour organiser la sortie des œuvres les plus significatives. Des chefs-d’œuvre furent cachés durant des mois dans les modestes maisons des gardiens, au cœur des quartiers populaires. Par la suite, certaines des œuvres dérobées furent retrouvées chez des marchands d’art africain à Bruxelles, d’autres prirent le chemin des États-Unis.

Toujours mal payé, peu considéré, le personnel du musée reprit ses fonctions, dans l’espoir que la paix et la transition politique lui assureraient un avenir meilleur tandis que les écoliers comme les touristes retrouvèrent le chemin du musée rafraîchi et rénové.

35.000 œuvres cherchent abri

Aujourd’hui, le désespoir l’emporte à nouveau : à l’initiative du président Tshisekedi, des villas de luxe vont être construites et des jardins aménagés sur le mont Ngaliéma. Dans ce lieu chargé d’histoire, qui domine le fleuve et abrite une statue de Stanley ainsi que le légendaire bateau Lady Alice, qui permit à l’explorateur de gagner l’embouchure du fleuve Congo, sans oublier une statue équestre de Léopold II, le musée va être proprement remballé.

Placide Mumbembele dispose de deux semaines pour trouver un refuge susceptible d’accueillir quelque 35.000 œuvres collectées dans toutes les provinces du Congo. « Le nouveau musée, construit par les Coréens, en a déjà accueilli 10.000 », nous assure le directeur, « mais pour les 35.000 autres, il n’y a tout simplement pas de place. Certes, on nous a proposé d’exposer les œuvres dans un nouveau musée qui sera ouvert au niveau de l’échangeur de Limete, où se trouve une grande statue de Patrice Lumumba, mais nous estimons que les lieux ne sont pas appropriés : les pièces sont anciennes, fragiles, le personnel actuel ne connaît pas ces lieux. Un déménagement d’une telle ampleur doit s’opérer avec précaution, cela ne s’improvise pas… Or il nous reste quinze jours pour déguerpir… »

Désespérant de l’État, le directeur a déjà sollicité des entreprises de la place disposant d’entrepôts ainsi que des lieux d’exposition privés, mais sa proposition a été déclinée. « Un tel déménagement doit être préparé avec soin », répète M. Mumbemlebe, « et c’est à l’Etat qu’il appartient d’investir durablement pour préserver le patrimoine national. » L’urgence de la situation, la vulnérabilité des œuvres en passe d’être déguerpies n’échappent cependant pas à tout le monde : « Nous voyons déjà tourner des antiquaires, des marchands d’art, et cela alors que nous souhaitons protéger le patrimoine national. »

Dans un tel contexte, le directeur des musées du Congo refuse de commenter la décision de la Belgique de rapatrier des œuvres congolaises se trouvant à l’Africa Museum à Tervuren : « Nous ignorons encore leur nombre exact, mais en ce moment notre priorité absolue est de préserver les œuvres qui se trouvent déjà ici, au Congo… » Et il martèle : « Sur ce point, nous ne sommes pas entendus, alors qu’une catastrophe se prépare…

Par Françoise Moehler. Titre de Géopolis Hebdo.

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