Economie

STABILITE FINANCIERE DANS LE MONDE : ENTRE AMELIORATION DES TENDANCES ET PERSISTANCE DES RISQUES. : Synthèse commentée du rapport du FMI.

Dans le cadre des Assemblées Annuelles du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale, des conférences de presse ont été organisée pour présenter différentes publications, au nombre desquelles figure le Rapport sur la Stabilité Financière dans le monde. Le Professeur Bobo B. KABUNGU qui y a participé en ligne propose ci-dessous une synthèse commentée du secteur financier entre amélioration des tendances et persistance des risques. Son exposé insiste sur (i) les évolutions générales ; (ii) les progrès enregistrés les six derniers mois ; (iii) la persistance des risques et (iv) les recommandations.

De la tendance générale

Si les risques pour la stabilité financière ont été globalement maîtrisés jusqu’ici grâce au soutien continu des politiques monétaires et budgétaires et au rebond de l’économie mondiale observé cette année, l’optimisme qui avait animé les marchés au premier semestre s’est quelque peu tempéré au cours de l’été. En effet, les investisseurs s’inquiètent de plus en plus des perspectives économiques dans un contexte d’augmentation des infections virales et d’incertitude accrue quant à la vigueur de la reprise, en particulier dans les pays émergents.

Par ailleurs, les vulnérabilités financières demeurent fortes dans plusieurs secteurs, en partie masquées par les mesures massives de relance. Les dirigeants font face à un arbitrage difficile : continuer à soutenir l’économie mondiale à court terme tout en prévenant les conséquences indésirables et les risques pour la stabilité financière à moyen terme. Une période prolongée de conditions financières extrêmement favorables, quoique nécessaire pour soutenir la reprise économique, pourrait alimenter une surévaluation des actifs et accroître les vulnérabilités financières.

Des progrès enregistrés les six derniers mois

Comparée aux évolutions mises en exergue lors de l’édition d’avril 2021 du Rapport, la situation s’est globalement améliorée. Six points peuvent le confirmer, à savoir :

⦁ l’assouplissement des conditions financières dans les pays avancés, du fait des anticipations de maintien de politiques monétaires accommodantes et de la valorisation croissante des actifs risqués ainsi que le statu quo dans les pays émergents en raison de la compensation de la hausse des prix des actifs risqués par le durcissement de la politique monétaire ;

⦁ le renforcement des bilans des entreprises via des aides budgétaires ciblées et un soutien sans précédent des politiques monétaires, grâce auxquels la vague de faillites redoutée ne s’est pas matérialisée. Les chiffres d’affaires ont augmenté et les bénéfices des entreprises ont surpassé les niveaux antérieurs à la pandémie dans plusieurs pays (graphique 1).

Graphique 1. Ratio global de bénéfice par action à 12 mois

Sources : Thomson Reuters Datastream IBES et calculs du FMI.

⦁ l’amélioration de la situation financière des ménages, pris globalement. Les ménages ont bénéficié des taux d’intérêt plus bas, d’aides au revenu et de bonifications d’intérêts, y compris de moratoires sur le remboursement des emprunts dans certains pays. Les ratios d’endettement ont diminué dans de nombreux pays, ce qui réduit le risque de défaillance sur les prêts hypothécaires et les prêts à la consommation ;

⦁ l’amélioration des perspectives des flux d’investissement de portefeuille dans les pays émergents et pré-émergents, partant de la reprise économique en cours et d’une attitude positive vis-à-vis du risque à l’échelle mondiale ;

⦁ la résilience des banques du fait de la constitution préalable des fonds propres suite à la mise en œuvre des réformes après la crise financière mondiale ;

⦁ l’essor des flux de capitaux orientés vers les fonds durables, en particulier les fonds climatiques, la pandémie ayant davantage sensibilisé les investisseurs aux événements catastrophiques (graphique 2). Les flux de capitaux soutiennent la protection du climat et les émissions de titres réalisées par des entreprises « vertes ». Les acteurs de l’investissement durable peuvent aussi présenter un intérêt du point de vue de la stabilité financière car ils sont généralement moins sensibles aux rendements à court terme.

Graphique 2. Flux nets en fonds d’investissement par Label de fonds
(pourcentage des actifs sous gestion ; valeur pondérée : 2010-2020)

Sources : Bloomberg Finance L. P. ; Lipper ; Morningstar ;
Principes des Nations Unies pour un Investissement Responsable et calculs du FMI

⦁ De la persistance des risques

Malgré les avancées énoncées plus haut, des risques demeurent dans un contexte de vulnérabilités financières élevées :

⦁ intensification des préoccupations relatives aux risques d’inflation sur les marchés financiers : outre la récente crise des prix de l’énergie et des produits de base, les investisseurs ont souligné la possibilité de perturbations des chaînes d’approvisionnement et de pénuries de main-d’œuvre et de matériaux plus persistantes qu’on ne le prévoyait initialement, qui se répercuteraient sur l’évolution des salaires et entraîneraient un désencrage des anticipations d’inflation ;

⦁ décalage des cours de bourse (par rapport aux valorisations basées sur les fondamentaux) sur la plupart des marchés (graphique 3) et ce, en dépit de la progression des prix des actions portés par les politiques monétaires accommodantes et de solides bénéfices ;

Graphique 3. Marchés boursiers mondiaux : désalignement des prix
(par rapport aux fondamentaux ; versions standard des rendements mensuels)

Sources : Bloomberg Finance L. P. ; Thomson Reuters Datastream IBES et calculs du FMI.
Note : EA = euro area.

⦁ pression sur les coûts de financement pour de nombreux pays du fait de l’augmentation des rendements des bons du Trésor américains intervenue fin septembre 2021 ;

⦁ risque de forte augmentation des taux réels dans les prochaines années (graphique 4) malgré les conditions monétaires encore globalement accommodantes, avec des taux d’intérêt réels fortement négatifs. Une réorientation soudaine de la politique monétaire dans les pays avancés pourrait entraîner un net durcissement des conditions financières, qui nuirait aux flux de capitaux et accentuerait les pressions dans les pays dont la viabilité de la dette suscite des préoccupations ;

Graphique 4. Réponse des primes de terme des marchés émergents à la hausse des rendements réels aux Etats-Unis d’Amérique (données en pourcentage, par semaine)

Source : Calculs du FMI. Note : EM = Emerging market.

⦁ risques d’insolvabilité élevés dans les secteurs les plus touchés par la pandémie (comme les transports et les services) et dans les petites entreprises. En Chine, les conditions de crédit ont été durcies, en particulier pour les entreprises dont la note de crédit est basse et dans les provinces où les finances publiques sont plus fragiles ;

⦁ maintien de la restriction des règles en matière d’octroi de crédit dans le secteur bancaire dans de nombreux pays. D’après les enquêtes réalisées auprès de chargés de prêts bancaires, cette posture devrait persister, les risques pour les perspectives du crédit étant le principal frein à la croissance des prêts. Un ralentissement des prêts bancaires internationaux pourrait engendrer de nouveaux risques élevés pour de nombreux pays émergents ;

⦁ persistance des risques opérationnels relevant des plateformes d’échange de cryptoactifs. En effet, peu d’informations sont généralement disponibles sur les cryptomonnaies stables qui peuvent être victimes d’attaques spéculatives en cas de doute sur le montant de leurs réserves. Dans les pays émergents, l’avènement des cryptoactifs et des cryptomonnaies stables pourrait accélérer le risque de dollarisation et nuire à l’efficacité des mesures de restriction de change et de contrôle des mouvements de capitaux en vigueur. L’augmentation du volume des cryptoactifs négociés par les utilisateurs des pays émergents pourrait déstabiliser les flux de capitaux. Les pays émergents et les pays en développement faisant face à ces risques devraient donner la priorité au renforcement des politiques macroéconomiques et étudier les avantages de l’émission de monnaies numériques de banque centrale.

⦁ Des recommandations

Les développements ci-dessus ont conduit à plusieurs recommandations dont voici les plus importantes :

⦁ Sur le plan budgétaire :

⦁ continuer à soutenir les entreprises et les personnes vulnérables tout en adaptant les mesures ad hoc aux circonstances nationales car la reprise économique ne suit pas le même rythme d’un pays à l’autre ;

⦁ maintenir une situation budgétaire saine.

⦁ Sur les plans monétaire et financier :

⦁ organiser la communication, par les banques centrales, sur l’orientation future de leur politique afin de prévenir un durcissement abrupt des conditions financières ;

⦁ si les pressions sur les prix s’avèrent plus persistantes que ce que l’on prévoit actuellement, agir avec détermination pour prévenir un désencrage des anticipations d’inflation ;

⦁ durcir les outils macroprudentiels sélectionnés pour gérer les poches de fortes vulnérabilités tout en évitant un durcissement général des conditions financières ;

⦁ envisager de constituer d’autres réserves pour protéger le système financier, étant donné les difficultés liées à la conception et à la mise en place d’outils macroprudentiels dans les cadres existants. En particulier, il importerait, de toute urgence, de régler les vulnérabilités dans le secteur des fonds d’investissement en renforçant le contrôle et la réglementation prudentiels afin d’accroître la résilience ex ante contre les risques de liquidité.

⦁ reconstituer des réserves appropriées, tout en profitant de l’allocation générale historique de droits de tirage spéciaux, et conduire des réformes structurelles pour se prémunir des dommages causés par une inversion éventuelle des flux de capitaux et des augmentations soudaines des coûts de financement ;

⦁ s’attaquer aux défis posés par la dollarisation numérique, en inversant ou en évitant la dollarisation via le renforcement de la crédibilité de la politique monétaire et l’indépendance de la banque centrale ;

⦁ prendre des mesures légales et réglementaires efficaces pour décourager l’utilisation de devises ;

⦁ instaurer des cadres de référence adéquats pour les prestataires de services sur cryptoactifs, avec une coordination entre les régulateurs nationaux.

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